Pourquoi le prix du pétrole est-il si volatil ?

Puit de pétrole

Le prix du pétrole (ou celui de ses dérivés, l’essence, le mazout, etc.) fait régulièrement la une des journaux. Parfois parce qu’il est très élevé. Parfois, au contraire, parce qu’il est très bas. Qu’est-ce qui pousse le prix du baril ainsi, tantôt à la hausse, tantôt à la baisse ? Explications…

Evolution du prix du pétrole sur douze mois

Démarrons par un très bref rappel du cours d’économie politique de première année, en particulier de la fameuse loi de l’offre et de la demande. Si vous n’avez pas suivi ce cours ou que vous ne vous souvenez pas de ladite loi, en voici l’allure :

Offre et demande pétrole

La courbe de la demande est descendante. Plus un bien est bon marché (i.e. plus son prix baisse), plus on a envie d’en acheter (i.e. plus la quantité demandée augmente). A l’inverse, la courbe de l’offre est ascendante. Plus le prix d’un bien augmente, plus l’entreprise a envie d’en produire et d’en vendre. Le croisement de ces deux courbes détermine le prix qui équilibre l’offre et la demande. A ce prix d’équilibre, la quantité demandée égale la quantité offerte. Tout le monde il est content.

Bien, ça, c’est pour un bien quelconque. Mais le pétrole n’est pas un bien comme les autres. Tout d’abord, sa demande n’est pas très élastique.

Késaco l’élasticité-prix de la demande d’un bien ?

Les économistes, souvent frustrés que leur science ne soit pas reconnue comme telle, aiment, pour se donner davantage de prestance, arborer les attributs des scientifiques. Pour se faire, ils se dotent volontiers de termes abscons empruntés aux mathématiques ou aux statistiques.

Bref, l’élasticité-prix de la demande d’un bien est simplement la sensibilité de la demande à une variation de prix de ce bien (mais avouez qu’« élasticité », ça en jette un peu plus que « sensibilité »).

Petit exemple, considérons deux modèles de voitures similaires, au hasard, une Volkswagen Golf et une Peugeot 308. Tout le monde voit ? Bon, si Volkswagen relève le prix de vente de sa Golf, des acheteurs potentiels vont se tourner vers la 308 (à supposer que Peugeot ne bouge pas le prix de son modèle ; ceteris paribus disent les économistes, un peu de latin, ça fait malin). Si elle relève trop le prix de vente de sa Golf, elle risque de ne plus trouver beaucoup d’amateurs et de faire le bonheur du concessionnaire Peugeot. A l’inverse, si elle baisse sensiblement le prix de sa Golf, elle attirera davantage d’acheteurs au détriment de sa concurrente. Le marché automobile est assez concurrentiel et la demande pour des voitures ordinaires est plutôt sensible au prix proposé. En termes techniques, on dit que l’élasticité-prix de la demande de voitures moyen de gamme est plutôt élevée. Par abus de langage, on peut dire aussi que la demande de voitures moyen de gamme est plutôt élastique.

Quid du pétrole ? Et bien, on a l’effet inverse. Si vous roulez au diesel, vous ne pourrez acheter que du diesel pour faire avancer votre carriole (à supposer que vous ne vous soyez pas encore mis à l’hybride). Vos alternatives sont vos pieds, le vélo, le bus, le train, le stop (moins en vogue en période Corona), etc. Si le supermarché le plus proche de chez vous est à 10 km, votre bureau à 30 km et que ces deux destinations sont mal desservies par les transports en commun (après tout, on vit en Belgique), il y a de fortes chances pour que vous fassiez le plein quel que soit le prix du diesel. Votre consommation de diesel sera peut-être accompagnée de quelques jurons vindicatifs, mais ça, les économistes ne le mesurent pas. En clair, si le prix augmente vraiment beaucoup, vous essayerez d’adapter un peu votre mode de vie et de limiter tant que faire se peut votre consommation de diesel (e.g. en roulant moins vite), mais vous continuerez tout de même à en acheter. A l’inverse, si le prix baisse sensiblement, il y a peu de chances que vous en profitiez pour multiplier les tours de pâté de maisons, pour le plaisir. Votre demande de diesel est donc peu sensible au prix du pétrole. Dans ce cas, on dit que la demande de pétrole est relativement inélastique.

Quel effet sur la courbe de la demande ? Et bien celle-ci se redresse, elle est plus « verticale ». Il faut une forte variation de prix pour faire bouger la quantité demandée.

Offre et demande pétrole bis

Quid de l’élasticité-prix de l’offre ?

A court terme, c’est encore pire. Pourquoi ? Quoi qu’en disent les pays membres de l’OPEP, qui font mine d’appartenir à un cartel solide et uni, ils travaillent presque tous à pleine capacité. Ils tentent bien parfois de réduire leur production pour pousser le prix du pétrole à la hausse, mais leur discipline ne tient généralement pas très longtemps (les années septante sont loin). Le seul pays qui dispose de véritables capacités de production excédentaire rapidement mobilisables est l’Arabie saoudite. Les Etats-Unis (qui ne font pas partie de l’OPEP), gros producteur, adaptent leur production en fonction du prix du pétrole et de la rentabilité induite de leurs sites d’extraction de pétrole de schiste, mais cette adaptation prend du temps.

Comme pour la demande, la courbe de l’offre de pétrole est également plus « verticale » que celle de l’offre d’un bien ordinaire. La quantité de pétrole proposée à la vente n’est pas facilement influencée par une variation du prix, même si celle-ci est importante.

Offre et demande pétrole ter

Que s’est-il passé en mars/avril 2020 ?

Le confinement dans les pays industrialisés, gros consommateurs de pétrole, a provoqué une chute sensible et rapide de la demande de pétrole, significative à l’échelle mondiale. Les avions étaient cloués au sol (plus besoin de kérosène). Les voitures ne roulaient presque plus (combien de pleins avez-vous fait durant le confinement et combien aviez-vous l’habitude d’en faire avant ?). Les boutiques, restaurants, cinémas, etc. étaient fermés. Plusieurs entreprises, usines ont tourné au ralenti. Bref, la courbe de la demande de pétrole a connu un décalage vers la gauche. Ce n’est pas qu’elle est devenue plus ou moins sensible au prix du pétrole. Il n’y avait tout simplement plus besoin d’autant de pétrole.

Et quand une demande inélastique se contracte pour un bien dont l’offre est elle-même inélastique, le mouvement induit sur le prix d’équilibre est particulièrement violent.

Offre et demande pétrole quater

Mais ça ne s’est pas arrêté là. Car non contente de voir la demande s’évaporer, l’Arabie saoudite a profité de l’occasion pour augmenter sa production de pétrole dans le but d’embêter les Russes (qu’est-ce qu’ils leur ont fait ces pauvres Russes à ces gentils Saoudiens pour mériter ça ? Débiter un de leurs ressortissants en rondelles ? Non, les Russes, c’est plutôt le polonium). Bref, elle a poussé la courbe de l’offre vers la droite, accentuant ainsi davantage la chute du prix d’équilibre de pétrole.

Offre et demande pétrole quinquies

Partant de là, le pétrole pourrait-il remonter aussi vite qu’il est descendu ?

En théorie, tout-à-fait. En pratique toutefois, ça n’a pas l’air d’être à l’ordre du jour pour l’instant.

Tout d’abord, la reprise s’annonce lente. A vrai dire, si la pandémie reflue en Europe et en Asie (malgré quelques alertes ponctuelles çà et là), l’Amérique n’a pas l’air d’avoir atteint son pic. Aux Etats-Unis, en tous cas, on n’observe pas encore de rebond dans la demande de pétrole.

Et côté de l’offre, l’Arabie saoudite a bien annoncé qu’elle avait l’intention de quelque peu restreindre sa production pour soutenir le prix du baril, mais ses annonces ne semblent pas, pour l’heure, être suivies d’effets. Par contre, aux Etats-Unis, les sites d’extraction de pétrole de schiste ferment les uns après les autres, contribuant ainsi à réduire l’offre mondiale de pétrole.

L’un dans l’autre, on a pu constater un rebond à la toute fin du mois d’avril et au mois de mai. En juin, ce rebond s’essouffle déjà.


Source : les données des graphiques proviennent de Refinitiv.